Économie

Tourisme et finance : le halal se diversifie

Alors que débute cette semaine le ramadan, le halal investit d’autres secteurs que l’alimentaire : finance, voyages ou cosmétiques…

« Aujourd’hui, pas une enseigne qui ne distribue son prospectus sur le ramadan», constate le spécialiste de marketing ethnique Abbas Bendali. Vendus exclusivement en boucheries musulmanes et supermarchés exotiques il y a une trentaine d’année, les aliments halal sont désormais présents chez Carrefour, Leclerc ou Casino. La grande distribution a développé ses rayons et ses propres marques jusqu’à devenir le premier acteur de ce marché.

L’an dernier, au cours des huit semaines du ramadan, du 30 avril au 24 juin, 54 millions d’euros (M€) ont été dépensés en France en denrées alimentaires halal dans les grandes et moyennes surfaces, selon Information Resources Inc (IRI).

En arabe, halal signifie « licite ». Il correspond à ce qui est autorisé dans l’islam, par opposition au « haram », impur et interdit. Sont proscrits, selon des modalités différentes suivant les courants de l’islam : l’alcool, la drogue, le porc… La viande halal répond à certains critères qui relèvent, entre autres, de la provenance de l’animal et la façon dont il est tué.

Des petits pots halal pour bébés

Avec toujours plus de clients, notamment jeunes et à fort pouvoir d’achat, les produits conformes au rite musulman connaissent des croissances que seul le bio peut dépasser dans l’Hexagone. Ils sont aussi toujours plus nombreux, à l’image des premiers petits pots halal pour bébés qui s’apprêtent à faire leur arrivée en grandes surfaces.

« Quand j’ai eu ma fille, je ne retrouvais pas le vrai goût des purées maison, se souvient Julie Le Roy, la créatrice de Happylal Baby. Des amies musulmanes m’ont dit : Ne te plains pas, pour toi au moins ça existe, nous, nous sommes obligées de cuisiner après notre journée de travail, même si on est fatiguées… » Julie Le Roy, qui s’apprête à sortir sa propre gamme de purées à l’époque, réoriente son concept et met en place une filière spécifique. « Il n’existait pas de producteur homologué babyfood qui fasse du halal en France », constate la jeune femme. Elle a choisi de faire labelliser ses produits par le certificateur AVS, « l’un des plus exigeants ».

Ces organismes, qui décernent le label halal affiché sur les emballages, ont chacun un cahier des charges différent. Il n’existe aucune norme unifiée ou légale et la tentative de l’association Afnor de fixer des règles s’est soldée par un échec et de vives critiques en septembre 2018.

La finance, plus de 2 milliards d’euros

La nourriture représente un marché annuel mondial de 1303 milliards de dollars (Mds$), soit environ 1164 milliards d’euros (Mds€), selon le rapport 2018-2019 de l’agence de presse Thomson Reuters. Au-delà de ce secteur, le halal a désormais investi des domaines bien plus variés. C’est la finance qui occupe la première place des activités économiques du secteur. « La finance islamique pèse 2 438 Mds$ (environ 2178 Mds€), elle a le vent en poupe, croît de 10 % à 15 % par an. Et ce n’est que 1 % de la finance conventionnelle ! » rappelle Kader Merbouh, directeur de l’Executive Master Principes et pratiques de la finance islamique de l’université de Paris Dauphine. Son master, lancé en 2009, n’a aucun mal à faire le plein et à caser ses élèves dans les banques du monde entier.

Qu’est-ce que la finance islamique ? « Elle ne comporte pas d’intérêts, pas d’éléments spéculatifs et n’investit que dans des actifs réels, concrets et licites, explique le professeur. Elle exclut les industries liées à l’armement, l’alcool, la pornographie… »

En France, seuls deux acteurs proposent des produits financiers halal : « La Banque populaire marocaine Chaabi a lancé en 2011 un produit de financement immobilier pour les particuliers, note Kader Merbouh. Swiss Life propose depuis 2012 une assurance vie. Tous les autres sont des courtiers. » La finance islamique n’est pas encore très développée en France mais elle a un énorme potentiel selon le spécialiste. « En termes de croissance, on voit clairement deux secteurs qui sont en train d’émerger dans le halal, estime Kader Merbouh : la finance et le tourisme. »

Le tourisme, nouvelle poule aux oeufs d’or

Les chiffres donneraient presque le vertige. Selon les estimations, le tourisme musulman, incluant toutes les dépenses effectuées par la communauté, pourrait atteindre 280 Mds€ d’ici 2022 ! Une somme avancée dans un rapport sur l’économie mondiale islamique réalisé par Dinar-standard, société de conseil en stratégie de croissance. De ce gâteau gigantesque, Halal Booking espère se servir une énorme part. Le tour-opérateur numérique, fondé par deux Anglais en 2009, est le leader européen de cette niche. Le chiffre d’affaires de la plate-forme s’élevait à 30 millions d’euros (M€) l’an dernier.

« Nous le doublons chaque année. Nous ne nous fixons aucune limite ! » prévient Erdem Kemal Bulut, responsable des relations avec les agences de voyages. La plate-forme, semblable à Expedia ou Booking.com, propose aux clients 1 275 établissements, principalement des villas privées et des hôtels. Ils sont disséminés dans 45 pays différents, avec la Turquie comme leader et la Malaisie en deuxième position. Les filtres de recherche permettent d’affiner ses choix. « Là, le client peut choisir de n’avoir que de la nourriture halal, un établissement sans alcool, ou des facilités pour les femmes. Ce sont les trois demandes principales », détaille Erdem Kemal Bulut.

Les tarifs des établissements « halal friendly » sont plus élevés que ceux d’un hôtel classique de même standing. Logique purement économique : il y a moins d’offres que de demandes, donc les prix grimpent. Une semaine pour une famille de quatre personnes au Wome Deluxe à Antalya, par exemple, meilleure vente de la plate-forme, coûte au minimum 2 000 €, voyage non compris.

Pour remplir les établissements avec lequel il noue des partenariats, Halal Booking s’appuie sur un réseau de 1 500 agences. Dont 250 dans l’Hexagone. Les musulmans français, que l’on estime entre 5 et 6 millions, représentent 9 % des 100 000 clients annuels. Derrière l’Allemagne (24 %), l’Angleterre (15 %), la Turquie (12 %) et la Belgique (11 %). « Nous sommes un pays à gros potentiel, décrypte Amar Moussouni, directeur du développement d’Atlas Tour, agence de voyages de Lille (Nord). Le marché prend forme, il y a une multitude de petits acteurs. »

L’aspiration à vivre des vacances halal est nouvelle. Elle a véritablement pris de l’épaisseur ces trois dernières années. Avec une demande extrêmement forte chez la classe moyenne musulmane française. « C’est la suite logique des choses, souligne Amine, dirigeant d’Ethic Trip, autre acteur du marché. Les parents ne partaient en vacances qu’au bled. La nouvelle génération est française, ouverte sur le monde. Elle veut juste voyager en gardant son éthique. »

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